De nouvelles règles de procédure pour les experts judiciaires en Belgique depuis septembre 2007
En Belgique, la réforme du Code judiciaire applicable à l’expertise judiciaire qui fut votée en avril 2007 est d’application depuis le 1er septembre 2007. Après septe mois de pratique, cet article met en avant les principales nouveautés de cette loi et en tire de premiers enseignements.
Le nouveau Code judiciaire trouve son origine dans la volonté qu’avait le législateur belge de répondre aux critiques traditionnelles adressées à ces actes techniques que sont les expertises judiciaires: trop longues, trop compliquées, trop chères. La réforme fut votée juste avant les élections fédérales de juin 2007. De l’avis de nombreux intervenants, son application allait cependant encombrer encore plus les tribunaux, vu les nouvelles tâches administratives qui leur incomberaient. Suivant ces critiques, certains experts allaient décliner ces interventions dès que les nouvelles normes seraient en vigueur. Voyons donc de quoi il en va.
La première disposition devant retenir l’attention est le paragraphe 2 du nouvel article 972, relatif à la réunion d’installation. Alors qu’auparavant l’expert judiciaire était maître de son calendrier (mais les avocats pouvaient à leur guise relative essayer de ralentir ses travaux), elle a désormais lieu en Chambre du Conseil en présence du juge. Ceci ne devrait pas alléger la charge de travail des tribunaux, d’autant moins que l’expert désigné ne doit pas être nécessairement présent mais peut être joint téléphoniquement. Comment fera-t-on lorsqu’il sera occupé à une autre mission ? Tiendra-on une réunion en l’absence de la principale personne intéressée, son coordinateur et technicien appelé pour assister le tribunal ? Il serait dommage, mais surtout cela pourrait réduire l’efficacité de la mesure, que la première réunion d’une mission à caractère essentiellement technique se déroule sans le technicien appelé pour assister le tribunal... C’est ce qu’on bien perçu certains juges qui, au regard de ces contingences, font appel à leur expérience pour favoriser l’avancement des dossiers.
Mais cette disposition a aussi un avantage, à savoir la force du juge. En effet, dès qu’il constate qu’une partie semble retarder les travaux de l’expert, le juge peut rappeler tel ou tel à l’ordre et avoir un impact favorable.
La deuxième faiblesse, relative à l’article 972 bis, concerne la production des pièces justificatives à l’expert. Prévoyant que c’est au début des travaux que les parties devront lui remettre tous les documents pertinents, cette rédaction ignore la progressivité de certaines missions : il arrive parfois que des pièces soient rendues nécessaires en cours de travaux. A l’opposé, pourquoi faire produire un maximum de pièces, alors que certaines ne seront pas utiles mais, au contraire, feront perdre du temps à l’expert qui devra les compulser puisqu’il les aura reçues? Gageons qu’en pratique, les parties permettront un peu de souplesse dans l’échelonnement de la production des pièces. Il est donc utile que l’expert judiciaire précise, lors de la réunion d’installation qu’il aura préparée, les premières pièces qui lui seront utiles et aussi celles dont il pense qu’il n’aura pas besoin.
L’article 974 introduit une mesure qui nous semble positive en son premier paragraphe:
l’obligation pour l’expert d’informer le juge tous les 6 mois sur l’avancement de ses travaux. Le contrôle par le juge de l’avancement de l’expertise est le meilleur moyen pour lui de contrôler la mission et de vérifier l’efficacité de l’expert. Mais le paragraphe 2 du même article est plus strict, réservant exclusivement au juge la possibilité de prolonger le délai pour le dépôt du rapport final. Il est probable que le juge acceptera de formaliser un accord des parties, lorsqu’elles se seront mises d’accord sur un délai complémentaire.
Attardons nous, ensuite, sur le nouvel article 976 qui risque bien de changer fondamentalement le déroulement des expertises : là où l’expert adressait auparavant ses constatations préliminaires aux parties, et ses conclusions après avoir pris connaissance de leurs réactions, il doit maintenant rédiger un avis provisoire. Et si le nouveau texte stipule que l’expert ne tient pas compte des observations qu’il reçoit tardivement, rien n’est précisé quant à celles qu’il aura reçues dans les temps. Mais doit-il en tenir compte et modifier son avis, ou simplement en noter la réception ? Il est encore trop tôt pour l’écrire.
Ce n’est peut être pas la modification la plus importante, mais le texte du nouvel article 978, prévoit que le rapport final ne reproduira les documents et notes remis par les parties, que dans la mesure où cela est nécessaire à la discussion. Il est aisé de prévoir des discordances quant à déterminer ce qui sera « nécessaire », car ce qui le sera pour une partie ne le sera pas nécessairement pour l’autre.
Nous pensons ensuite que la rédaction du texte, à savoir que « le rapport ne peut reproduire les documents et notes ... que » n’apporte pas la sécurité suffisante : prévoyons d’ores et déjà que dans de nombreux cas, le niveau de nécessité ne sera pas identique pour les parties à la cause.
Quant au nouvel article 983, il nous semble enfin apporter une réponse positive à la demande de nombreux experts judiciaires : eux qui ne savaient jamais ce qui advenait de leur rapport définitif à l’issue de son dépôt, reçoivent dorénavant copie du jugement qui leur est adressée par le greffe. C’est indubitablement une avancée.
Malheureusement, la nouvelle loi reste silencieuse sur le plan de l’agréation et de la formation des experts et a raté l’occasion d’encadrer les experts. Alors qu’il ne manquait que des arrêtés royaux pour fixer les critères permettant les listes officielles d’experts, l’ancien texte est effacé du Code judiciaire par la loi d’avril 2007. Le titre d’expert judiciaire n’est dès lors toujours pas encadré, alors que le législateur aurait pu saisir l’opportunité de la refonte de la loi pour le faire.
Les nouveaux articles 987 et 988 régissent les provisions et paiement des prestations des experts. Ils changent les habitudes et le mode de fonctionnement de nombreux experts judiciaires. De l’avis de nombreux praticiens, les nouvelles dispositions risquent d’alourdir les tâches des greffes.
En synthèse du nouveau texte, il est important de noter les éléments suivants:
— En cas d’insuffisance de provision, seul le juge peut décider d’une consignation complémentaire. Or, dans de nombreux cas, les parties se mettaient d’accord sur ce point. Il est dommage que cette possibilité ait été exclue, même si on ne voit pas un juge refuser de formaliser l’accord des parties
— Quant au paiement des prestations de l’expert, les parties ont le choix entre la consignation au greffe (peu équipés pour ces tâches administratives) ou l’ouverture d’un compte bancaire. Mais vu les difficultés pratiques de cette seconde possibilité, c’est aux greffes que l’on s’adressera presque toujours.
— Il faut également lire ces deux articles conjointement avec le 991. Il indique que, en cas d’accord des parties endéans les 15 jours du dépôt du rapport, le juge taxera les honoraires de l’expert. Mais le texte ne dit rien en cas de désaccord. Ainsi donc, il ne faut pas être devin pour prévoir qu’une partie à la cause, mécontente du rapport de l’expert, ne se précipitera pas pour permettre le paiement de ses prestations. Celui-ci devra alors engager une procédure de taxation à frais et temps perdu.
In fine, la loi modifie en outre l’article 509 quater du code pénal en ces termes: «l’expert qui acceptera un paiement non autorisé d’une partie à la cause sera puni de 8 jours à 3 mois de prison et de 200 à 1500 euros». Les experts ne peuvent dès lors plus, comme c’était monnaie courante sous l’ancien régime, se faire payer d’avance.
La pratique laisse à penser que, répondant aux demandes et justifications des parties, des juges pourraient contracter des honoraires demandés et peu justifiés par des experts.
En conclusion, la loi qui a voulu rendre le déroulement des expertises judiciaires plus fluide et plus rapide, a dans certains cas atteint ses objectifs. Elle permettra, notamment, de meilleurs contacts entre les tribunaux et leurs conseillers techniques que sont les experts judiciaires. Notamment, les tribunaux prendront plus conscience des contingences techniques et du terrain.
Dans d’autres de ses dispositions, elle présente aux yeux des experts, des lourdeurs que les juges pourraient éviter par une application et un regard bénéficiant de leur pratique quotidienne du terrain. Gageons que les prochains mois, lorsque les premières expertises judiciaires liées à la nouvelle loi seront terminées, nous apporteront leur lot d’enseignements.
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